OKR #2 : Une histoire de maturité Produit

Les OKR : une méthode complexe à mettre en œuvre, qui nécessite un certain niveau de maturité produit et agile
Écrit par
Marion Lecerf
Date de publication
8/2/24
OKR #2 : Une histoire de maturité Produit

Pourquoi décide-t-on de faire des OKR pour basculer dans une approche de pilotage par l’impact ? Quelle est la réalité des choses derrière le besoin d’implémenter cette méthode ?
Qu’est ce que les OKR et leur pratique veulent dire vraiment ?
De quoi votre orga a besoin pour se lancer véritablement dans cette pratique ? Est-ce que vous êtes prêts ? Est-ce que vous êtes équipés pour (formation, accompagnement à l’implémentation, sponsoring de la Direction, niveau de maturité de votre organisation…) ?

L’intention de cet article est de vous mettre en garde : n’allez pas trop vite en besogne et ne négligez pas toutes ces questions fondamentales. Mais aussi de vous donner des clés pour comprendre pourquoi ces questions sont aussi importantes : car appliquer une méthode ou un framework nécessite de se poser la question du “Pourquoi on veut l’utiliser ?” mais aussi de “là où vous en êtes en termes de maturité Produit et Agile” car tout est lié.

Les OKR ne sont pas magiques, ils ne résoudront pas tous vos problèmes d’un coup de baguette magique. C’est une méthode complexe à mettre en œuvre, qui nécessite un certain niveau de maturité produit et agile.

Préambule : Évaluer sa maturité Produit

Lorsque je commence un accompagnement de coaching d’équipes et de dirigeants pour mettre en place cette méthode, je “mappe” d’abord où l’organisation en est en dans sa maturité Produit.

Pour cela j’utilise le modèle Agile Fluency (créé par Diana Larsen et James Shore) que j’ai découvert il y a quelques années. Le parallèle avec l’évaluation de la maturité Produit d’une organisation a été une évidence pour moi car je considère que tout est interconnecté : l’agilité, comme le pilotage produit par la valeur, sont des états d’esprit très liés.

Ce parallèle avec le modèle Agile Fluency apporte une grille de lecture un peu différente : un nouveau regard et des clés pour savoir placer le curseur quelque part et voir les marges de progression possibles, ainsi que les pratiques associées à aller chercher, implémenter, tester et ancrer.

Disclaimer : Cet article n’a pas vocation à présenter toutes les subtilités du modèle Agile Fluency, mais la façon dont je l’utilise dans mon coaching d’organisation. Pour en savoir plus et approfondir le modèle, je vous invite à lire les travaux de Diana Larsen et James Shore.

Le pilotage par l’impact est une synergie entre stratégie et exécution, d’où l’importance d'aligner les deux (ce qui est le fondement de la méthode OKR).

Deux exemples illustrent l'importance de cet alignement :

  • Une exécution sans stratégie : la livraison rapide d'un produit sans ambitions stratégiques ou travail sur la valeur produit au préalable aura un impact faible voire nul sur les utilisateurs.
  • Une stratégie sans capacité d’exécution : Vous avez écrit une superbe stratégie Produit “sur le papier”, mais vous êtes en incapacité de construire de manière itérative, de livrer au bon moment et de recueillir des feedbacks utilisateurs. Par conséquent, votre produit n'atteindra pas sa cible en termes d'impact, et/ou le time to market sera trop long.

Le succès d'un produit ne se résume pas à une simple stratégie ou à une exécution efficace. Il réside dans la combinaison synergique de ces deux éléments. En concentrant les efforts sur une stratégie claire et une exécution agile, les équipes peuvent maximiser l'impact de leur produit sur les utilisateurs et le marché.

Agile Fluency et maturité Produit : savoir et comprendre où se situer ?

Dans un premier temps, il est important de comprendre ce modèle, certes empirique, mais très parlant.

Le point de départ : le “Non Agile”

Les équipes se concentrent souvent sur les aspects techniques, comme les couches logicielles, et adoptent une approche individuelle du travail.

Le travail en équipe n'est pas nécessairement formalisé et il peut y avoir un manque d'alignement entre les membres. Les individus peuvent travailler sur de larges périmètres et sur de longues périodes sans visibilité claire sur les résultats.

L'approche produit n'est pas encore adoptée et l'état d'esprit reste orienté projet. Les chefs de projet naviguent souvent à vue, avec des plans approximatifs basés sur des dates arbitraires fixées par la direction.

Le développement se fait sans une vision claire de l'impact sur les utilisateurs et sans la compréhension du besoin de tester rapidement les hypothèses sur le terrain.

Si vous en êtes à ce stade-ci, les OKR ne sont pas le bon point de départ pour réaliser un changement et tendre vers de la Culture Produit : il faudra d’abord travailler sur le shift en terme de culture d’équipes, et se former à l’agilité et ce qu’elle induit comme pratiques.
Par ailleurs, la mise en place d’OKR est antinomique avec la gestion de projet : le management par les objectifs (SMART) posé par Peter Drucker est plus adapté à ce stade.


Le premier lieu : Focusing

C’est avant tout un changement de mentalité car la transition du non-agile à une approche centrée sur la valeur exige un changement de culture profond. Les équipes qui maîtrisent cet art adoptent une posture solidaire et se fixent des objectifs communs. Elles réfléchissent et planifient en fonction des avantages que leurs sponsors, clients et utilisateurs retireront du Produit.


Au niveau de la mise en place de pratiques agiles c'est à ce stade que le backlog priorisé par la valeur, les rétrospectives, le management visuel, la notion de “time boxe”, les chartes et les règles d'équipe, le feedback entre pairs et d'autres pratiques agiles prennent tout leur sens.


Si on fait le parallèle avec l’adoption du mindset Produit, c'est aussi le moment où le rôle de Product Owner émerge et devient crucial pour ancrer l'état d'esprit Produit. L'évolution vers ce rôle se fait progressivement, nécessitant de la formation et une acculturation agile au sein de l'organisation.

Ce passage implique une transformation profonde dans la façon de travailler, de collaborer, de penser et de concevoir les produits. Les user stories, par exemple, remplacent le cahier des charges traditionnel et représentent un changement majeur dans la manière de construire un Produit.

En résumé, la focalisation sur la valeur ne se résume pas à une simple méthodologie, mais bien à une transformation culturelle profonde. L'adoption de pratiques agiles et l'évolution vers un mindset produit sont des éléments clés pour réussir ce changement.

Si vous en êtes à ce stade-ci, la méthode OKR est encore un peu trop complexe pour être implémentée dans votre organisation : assurez-vous déjà d’avoir une vision Produit claire et partagée, c’est le point de départ.

Le deuxième lieu : Delivering

Les équipes qui atteignent ce niveau ne se contentent plus de réfléchir à la valeur métier, elles la livrent quand elles le veulent en toute autonomie. Ce deuxième lieu est un lieu assez technique et fait écho à la montée en compétences des équipes (Extrem Programming, DevOps, CI/CD, refactoring, pair-programming…).

C’est aussi à ce stade, que la Culture Produit s’ancre : les équipes commencent à se questionner sur le sens de leur travail, le "pourquoi" plutôt que le "comment". Pour autant, elles restent néanmoins encore focalisées sur la livraison.

Sortir du "comment" pour se concentrer sur le "pourquoi" n'est pas évident. Cela implique de questionner les hypothèses, les problématiques et leur lien avec la stratégie produit, le business et les besoins des utilisateurs.

A ce stade de maturité, l’adoption d'une approche simplifiée des OKR axée sur les ambitions et les impacts peut émerger. Cette démarche incite les équipes à réfléchir à la stratégie produit et à la tactique à mettre en œuvre. C’est aussi un bon moyen d’alignement et de communication.

C’est aussi à ce stade de maturité que les équipes exploitent mieux leur datas : on se questionne plus sur les KPIs à suivre pour suivre la performance du Produit et mieux comprendre ses utilisateurs.
Les équipes Produit commencent également à dédier plus de temps à la Discovery, car en se questionnant sur l’impact de son Produit, on cherche mécaniquement des réponses à ses questions donc on part en exploration.
Pour autant, l’équilibre entre delivery et discovery est encore difficile à trouver, mais nécessaire pour grandir et gagner en maturité supplémentaire. 

Et enfin, sont adoptées d’autres pratiques telles que le user story mapping, l’AB testing, les tests et recherche utilisateurs…

Si vous en êtes à ce stade-ci, la mise en place d’un framework simplifié type “ambitions / impacts” reliés à une vision Produit est une première belle marche pour tendre vers du pilotage par l’impact. Cette adoption prendra plusieurs années de test & learn.

Le troisième lieu : Optimizing

Ce troisième lieu est celui des organisations qui ont shifté toute leur structure organisationnelle : c’est à dire que le Produit est au centre, et le Product Management déployé à l’échelle. C’est le lieu de l’excellence stratégique et opérationnelle : non seulement on livre de la valeur mais on la livre quand elle fait sens pour le marché (plus seulement quand on a décidé de la livrer, c’est une nuance importante).

Les organisations leaders sur le marché sont globalement dans ce lieu. La raison d’être de l’organisation est de comprendre rapidement ce qui se passe sur le marché, d’anticiper, d’innover. En pratique, on teste rapidement ses hypothèses et on n’a pas peur de rapidement pivoter. C’est d’ailleurs là où la pratique du Lean Startup, du Design Thinking ou l’approche Beyond Budgeting sont adoptées.

C’est aussi dans ce lieu, que côté management on est sur la pratique du management 3.0 avec des “leaders-coachs” vs. un système de management plus pyramidal à l’ancienne.

Côté Produit, le niveau supérieur est atteint.
La méthode OKR est implémentée au niveau stratégique du département par exemple. Les réflexes et rituels liés à cette méthode sont ancrés : tout est en convergence vers les OKR. Le suivi hebdomadaire, la communication autour des avancées stratégiques et tactiques, tout est relié.

Autre point qui souligne ce niveau de maturité Produit c’est l’utilisation de la data. En mettant la data au cœur de la prise de décision : les équipes sont "data-driven", tout est piloté par la data. C’est aussi dans ce niveau de maturité que je trouve des "north star metric" (telle que définie par John Cutler).


Au niveau équipes : la collaboration est étroite au-delà du prisme des équipes uniquement Produit, c’est une composante forte du succès du pilotage par l’impact. Les équipes Produit sont en permanence connectées avec le service client et les experts métier pour créer une unité et s'assurer d'un partage clair des ambitions stratégiques et des moyens pour les atteindre collectivement.

Enfin, l'approche de Continuous Discovery de Teresa Torres est adoptée par les équipes produit via différentes pratiques, ce qui permet de répondre au bon moment aux besoins des utilisateurs, voire de les anticiper ou d'en créer de nouveaux, pour atteindre les ambitions et les impacts qu'elles se sont fixés.

En résumé, ce niveau se caractérise par une forte maturité dans la construction de la stratégie et du Produit, avec une utilisation optimale de la data et une collaboration étroite entre les équipes (et cela au niveau de toutes les couches managériales).

Si vous en êtes à ce stade-ci, la mise en place des OKR devrait bien se passer, puisque tous les voyants sont en principe au vert pour du pilotage par l’impact avec des ambitions stratégiques posées au niveau direction (top down) et une définition des impacts tactiques par les équipes Produit (bottom-up). Aussi, de part la maturité de l’organisation, le cadre d’animation et de suivi devrait être plus simple à implémenter.

Le dernier lieu : Strengthening

Ce dernier lieu n’est pas une fin en soi : Diana Larsen et James Shore le considèrent comme “le futur de l’Agile”. Peu d’organisations ont atteint de nos jours ce niveau de maturité : on parle d’entreprises libérées, la sociocratie, les systèmes holacratiques…

Côté Culture Produit, si je devais faire un parallèle, on est sur le “graal” c’est à dire des Empowered Teams telles que décrites par Marty Cagan. Et cela suppose bien évidemment d’avoir adopté l’intégralité des pratiques et principes évoqués précédemment.

Pour finir avec la méthode OKR, cela voudrait dire que l’ensemble de l’organisation transcende la méthode : qu’elle est adoptée, maîtrisée et adaptée par l’ensemble de l’organisation (y compris dans les prises de décisions niveau COMEX).

Conclusion

Le pilotage par l’impact est avant tout une affaire de petits pas et de transformation vers plus de Culture Produit. Il donc est nécessaire de comprendre là où son organisation en est, et là où on souhaite l’emmener. Cette démarche n’est pas anodine : elle nécessite de l’accompagnement, de la formation, du coaching et surtout du sponsoring afin d’être déployée petit à petit plus largement.
Si vous avez déjà tenté d’implémenter la méthode OKR par vous-même et que vous n’avez pas réussi, ce n’est pas une fatalité c’est presque une normalité. Comme toute méthode appliquée “by the book”, elle nécessite de construire un cadre sur-mesure qui prend en compte votre culture, vos attentes, votre maturité.

Cet article est un condensé écrit de l’épisode du Podcast "Good Morning Product" by School of Product que j’ai enregistré en duo avec Nils Lesieur il y a deux ans.

Mes références :
- J’ai travaillé à l’implémentation des OKR Produit sur un département complet (BU) de 200 personnes chez Decathlon (une 15aine d’équipes Produit) pendant 14 mois (2022-2023) : formation, acculturation du management, implémentation avec les équipes Produit (test & learn pour s’approprier la méthode), sensibilisation aux équipes "cross". Ainsi que la mise en musique en déployant à l’échelle les bon rituels pour faire vivre cette méthode.

- J’ai également implémenté la méthode chez Bpifrance sous un angle différent au sein d’un département métier (en 2021)

- Je donne régulièrement des talks à ce sujet : si vous souhaitez que je vienne faire un REX chez vous, contactez-moi !